Chaque année, je me rends au Salon International d’Art Contemporain de Marseille, pour voir les cheminements des peintres et sculpteurs actuels. J’en profite pour visiter la ville aux mille contrastes, et cette fois, malgré le temps maussade, je me suis décidée pour le célèbre quartier du Panier, dans le vieux Marseille.
J’en ai ramené quelques images de l’Art des rues et comme j’aime toujours associer à mes articles, la littérature, cette magique métamorphose des mots en paysages intérieurs, je me suis mise à chercher dans ma bibliothèque les écrivains marseillais. Le premier qui m’est venu à l’esprit – à part Marcel PAGNOL - était Jean CONTRUCCI, écrivain de romans policiers historiques, mais principalement situés dans le quartier de la Belle de Mai. Puis, j’ai lu le roman de Maurice GOUIRAN, « Train bleu Train noir » qui m’a fait découvrir un aspect tragique de l’histoire d’une de nos plus anciennes villes.
Je vous propose d’évoquer ce roman sombre dans la lumière jubilatoire d’un quartier rescapé des destructions nazies, dont le régime de Vichy s’était fait le bras armé.
Deux trains, deux voyages. A cinquante ans d’intervalle. Deux dates : 1943 – 1993.
Trois amis, liés par le même destin : l’exclusion, la déportation et la perte de leurs familles.
Une ville martyrisée, en plein cœur : le quartier du Vieux-Port, les quartiers populaires, cosmopolites, anciens, antiques, devrais-je dire !
Robert, l’un des trois amis et narrateur principal dit : « Ma plus grande frustration, en revenant à Marseille à la fin de la guerre, fut de ne découvrir qu’un gigantesque chantier de démolition là où j’avais vécu les meilleurs moments de mon existence. »
Lui qui n’a pas vécu le désastre, écoute le récit de Jo : Deux mille six cents ans d’histoire ! Quatorze hectares de poussières, de débris de bois et gravats. Mille deux cent maisons abattues.
En fait, l’explosion a détruit les bâtiments situés entre les rues Radeau et Saint-Laurent. Six immeubles se sont écroulés sous la première charge. L’église Saint-Laurent (…) est restée intacte, mais la cathédrale de la Major a tremblé sur ses bases. Du quai de Rive-Neuve, on observait, ébahis, cet incroyable spectacle.
Pendant vingt jours, le fracas des explosions et la poussière.
Pourquoi ?
Tous les Marseillais n’étaient pas ébahis et compatissants. Ils trouvaient que certains quartiers étaient sales, les maisons insalubres, lépreuses, « à l’image des voyous et des métèques du Vieux-Port ». Et l’auteur de citer, par la bouche de son personnage, la description que le prix Goncourt 1922, Henri Béraud, avait faite de Marseille :
« Par toutes nos routes d’accès transformées en grands collecteurs, coule sur nos terres une tourbe de plus en plus grouillante, de plus en plus fétide. C’est l’immense flot de la crasse napolitaine, de la guenille levantine, des tristes puanteurs slaves, de l’affreuse misère andalouse, de la semence d’Abraham et du bitume de Judée. »
Pas nouveau la modernisation ! Mais si les villes doivent nécessairement s’adapter aux besoins nouveaux de confort d’une population croissante, l’argument a rarement été exempt d’arrière-pensées. De la même façon, le baron Haussmann avait au XIXe fait détruire bons nombres de quartiers populaires, propices aux émeutes et révolutions, pour percer Paris de magnifiques grands boulevards adaptés aux défilés militaires, capables à la fois d’impressionner les opposants politiques et de rassurer les tenants de l’ordre social.
Quant aux populations, il est permis de douter qu’on ait prévu de les reloger, même si, à l’époque, le prétexte était l’insalubrité !
En 1943, la France vit sous la botte nazie, grâce à ce « bon » Philippe Pétain, héros de Verdun, certes, mais ce n’était plus qu’un souvenir… Un vieillard imbibé d’idéologie d’extrême-droite, antisémite, raciste. Il a quand même détruit la République pour fonder l’Etat français et mettre le pays, sa population, ses travailleurs (STO), ses fonctionnaires, dont la police, au service du IIIe Reich. Dire que c’est la Chambre des députés de l’époque, à majorité socialiste (!) qui lui a voté les pleins pouvoirs !
Un attentat, à Marseille, contre un bus transportant des soldats allemands.
Les autorités nazies vont exiger plus que des sanctions. Il s’agit ni plus ni moins que de « purifier » la ville de toute sa population indésirable, parce que dangereuse. Détruire les vieux quartiers impossibles à contrôler.
Les habitants ? Ils vont être relogés, oui, mais pas ici ! Tout est déjà prêt : les arrestations, les déportations, les camps de concentration et d’extermination.
Juste avant, des contrôles policiers s’étaient multipliés, même en pleine nuit. Les rafles durèrent plusieurs jours et les gens, mille six cent quarante-deux personnes, emmenés sans ménagement. A la gare d’Arenc, un train noir, très long.
Les chefs de la Wehrmacht et des S.S. attendaient là, sur le quai. Ils venaient assister au chargement de la grande rafle
Sanglés dans leurs uniformes, le colonel SS Bernhardt Griese et le général de la Wehrmacht Felber papotaient avec Karl Oberg. Le chef suprême de la police d'occupation en France avait des allures de professeur d'histoire. (...) Mais Griese, Felder et Oberg disserteraient sur l'économie et la politique plus tard, les trois hommes parlaient simplement de la mort, de la mort programmée des mille six cent quarante deux personnes qui se serraient les unes contre les autres, comme des animaux apeurés. (...) Plus loin, les boches, uniformes feldgrau, baïonnettes aux fusils, veillaient. Ils ne participaient pas aux festivités. Ils étaient là, simples garants de la bonne parche des choses et de la bonne exécution des ordres venus de Berlin."
Puis, un des officiers s’approcha des détenus, les examina et fit un signe de tête. Aussitôt, les flics en civil, arrachèrent les enfants des bras de leurs pères et séparèrent les femmes des hommes.
Ceux qui tentaient de s’interposer, étaient sauvagement frappés. Robert est séparé à jamais de sa femme et sa fille de quatre ans.
Ce sinistre train noir conduira sa triste cargaison jusqu’à Compiègne. La plus grande partie sera déportée dans les conditions que l’on sait, à Drancy, puis à Sobibor, avant d’atteindre d’autres camps, dont Auschwitz.
Cinquante ans plus tard, les trois amis qui sont revenus à Marseille après la libération, seuls, quittent Marseille pour se rendre à Munich. Le train bleu qui les emporte est bondé d’une foule joyeuse, des supporters marseillais tout à la joie d’assister au triomphe espéré de l’O.M. qui sera sacré champion d’Europe, après sa victoire contre Milan. Robert, Georges et Michel n’ont plus trop l’âge de participer à ces cris et chants collectifs. Pourquoi refaire le voyage terrible vers l’Allemagne, un demi-siècle plus tard ?
En fait, ils n’ont jamais pu oublier la perte de leurs familles. Aussi, quand ils ont découvert leur bourreau nazi, Robert a aussitôt fomenté un plan. Je n’en dirai pas plus. Ah ! vous de découvrir la suite du roman !
Leur histoire, racontée tour à tour par chacun des trois, concerne les deux années 1943 et 1993, symbolisées par les deux trains. Comme ils n’ont pas vécu ensemble la période de 43 à la fin de la guerre, ils reconstruisent d’après leurs récits ce qui est arrivé à leurs familles. Ce n’est donc pas seulement un roman historique, mais policier car il y a un assassin, une enquête.
Un livre à lire pour tous, y compris, je le dis, ceux qui « n’aiment pas trop lire » !
Le quartier du Panier a retrouvé ses habitants, son humour, et la chaleur de son accent chante plus que jamais le soleil, la mer et le bonheur de vivre. Aujourd’hui, il est même devenu si célèbre par le feuilleton « Plus belle la vie », que les restaurateurs vous indiquent comment y aller, avant même de leur avoir demandé !
En voici quelques photos d'Art des rues.
Le roman de Maurice GOUIRAN est paru en 2010 aux Editions JIGAL.
J’ai tiré le cadre historique du récit même de l’auteur, dont on connait l’engagement humaniste.
L'histoire du Train bleu est volontairement restée dans l'ombre, car il s'agit d'un roman "historico-policier", donc je laisse l'auteur vous guider (ou perdre!) dans l'enquête.
Merci de votre attention et bonne lecture !