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14 juillet 2015 2 14 /07 /juillet /2015 08:37
A ceux qui aiment un peu, beaucoup, passionnément, le cinéma & la jeunesse, ne manquez pas "Mustang"!

Pour ce premier long métrage, la réalisatrice franco-turque Deniz GAMZE ERGÜVEN, coscénariste avec Alice WINOCOUR, a obtenu la Caméra d’Or, au festival de Cannes en 2015 et quatre nominations à la Quinzaine des Réalisateurs, dont le Prix Label Europa Cinéma.

 

L’action se passe dans un petit village reculé, ENEBOLU, situé à 600 km au nord d’Istanbul.

Il parle de la condition des femmes dans la Turquie d’aujourd’hui. Plus particulièrement des jeunes filles, de leurs rêves, de leur émerveillement devant la nature qui transforme leur corps et leur ouvre le champ des possibles de la vie d’adulte. Pour elles, comme pour toutes les jeunes filles, cela signifie avant tout être libre. Leur enthousiasme va vite se heurter au conservatisme de la société turque, plus intransigeant dans les villages que dans les villes.

« L’année scolaire se termine. C’est le moment des adieux pour une professeure qui est mutée à Istanbul, au désespoir de LALE, adolescente de 12 ans et la plus jeune des cinq sœurs, élevées par leur grand-mère depuis la mort de leurs parents. Devant la déception de LALE, la professeure lui donne sa prochaine adresse à Istanbul, afin de garder le contact.

« Sur le chemin du retour, les cinq sœurs longent la mer et ne résistent pas à l’envie de s’amuser sur la plage où elles rencontrent des camarades de classe, avec qui elles chahutent innocemment dans les vagues. Juchées sur les épaules des garçons, elles improvisent une bataille et les uniformes des lycéens sont bientôt trempés.

 

A ceux qui aiment un peu, beaucoup, passionnément, le cinéma & la jeunesse, ne manquez pas "Mustang"!

« Malheureusement pour elles, elles sont vues, dénoncées, et pour mettre fin au scandale, la famille, en l’occurrence la grand-mère sous l’autorité de l’oncle, va tout faire pour les faire rentrer dans le rang. Finies les mini-jupes ! Finie l’école ! Elles apprendront à domicile, la cuisine et la couture, sous la férule de quelques matrones ! Finis les rêves d’amour et de liberté ! On prépare pour les plus âgées, des mariages forcés !..."

 

Je n’en dirai pas plus pour vous laisser le plaisir de la découverte. Le plaisir, vous en aurez, car le film est vraiment jubilatoire. Esthétiquement beau, Deniz GAMZE ERGÜVEN a eu elle-même du plaisir à filmer la beauté des corps, tant en mouvement que statiques, à diriger ses actrices – on sent qu’elle les aime, qu’elle connait bien la jeunesse, d’où des portraits justes, attendrissants et drôles. Et si elle montre l’absurdité, le ridicule du conservatisme  et la cruauté du sort imposé aux femmes, mises sous la tutelle de maris qu’elles n’ont pas choisis, elle n’est jamais dans le ressentiment, la haine ou le désir de vengeance. Elle aurait pourtant de bonnes raisons, ayant elle-même subi ce traitement dans sa jeunesse.

Dans un entretien recueilli et publié par Thomas PERILLON, le 17 juin 2015 pour Le Bleu du Miroir, elfe se confie :

 

« T. P. : Cette frénésie libératrice que vous évoquez vient-elle d’un besoin de vous exprimer suite à une adolescence teintée de culpabilisation face à votre féminité, votre part de sensualité ?

 

D. G. E. : J’ai ressenti quelque chose de très accusatoire. Je me souviens d’avoir ressenti une salve accusatrice très forte, que je n’ai pas relevée tout de suite. Je n’ai pas réagi comme mes personnages. J’ai beaucoup intériorisé ce qui m’était dit. C’est bien plus tard que j’ai retrouvé ces sentiments. Je me souviens d’un enterrement, en particulier. Les femmes sont censées rester en retrait. Elles n’ont pas le droit de toucher le corps car elles le souillent si elles le font ; elles ne peuvent même pas toucher le cercueil. Et je me souviens que lors du premier enterrement auquel j’ai assisté plus jeune, une proche du défunt a touché le cercueil et elle a été chassée de façon assez virulente. Je m’étais sentie très mal à l’aise. J’avais moi-même pris du recul et me suis prise en flagrant délit d’avoir cette pensée plutôt abjecte (que je pouvais effectivement souiller le corps du défunt car j’étais une fille). Ce fut une sorte de choc !
Dans Mustang, les filles, au contraire, ne baissent jamais la tête. Elles n’intériorisent jamais les discours les plus absurdes qu’on peut leur rabâcher. »

Le Bleu du Miroir; 17 juin 2015

A Istanbul, en se promenant, comme ici, dans un parc près de Sainte Sophie, on peut acheter un drapeau à l'effigie de Mustapha Kemal, fondateur de la Turquie moderne. Le peuple turc se souvient-il aujourd'hui de sa vision novatrice de la société inspirée des idées de la Révolution française, notamment l'égalité et la liberté ?A Istanbul, en se promenant, comme ici, dans un parc près de Sainte Sophie, on peut acheter un drapeau à l'effigie de Mustapha Kemal, fondateur de la Turquie moderne. Le peuple turc se souvient-il aujourd'hui de sa vision novatrice de la société inspirée des idées de la Révolution française, notamment l'égalité et la liberté ?

A Istanbul, en se promenant, comme ici, dans un parc près de Sainte Sophie, on peut acheter un drapeau à l'effigie de Mustapha Kemal, fondateur de la Turquie moderne. Le peuple turc se souvient-il aujourd'hui de sa vision novatrice de la société inspirée des idées de la Révolution française, notamment l'égalité et la liberté ?

S’agit-il donc d’un film féministe ?

 

Oui, par nécessité, mais pas militant.

Pour moi qui ai apprécié particulièrement le film et malheureusement constaté qu’en deux générations, la condition féminine en Turquie ne s’est guère arrangée – je suis allée fouiller dans les photos que j’ai prise à Istanbul, en 2010 – le moins que l’on puisse dire est peu encourageant. Il est même paradoxal de mettre bout à bout la photo que j’ai prise du vendeur de drapeau et la suivante, prise le même jour et dans le même quartier.

 

A ceux qui aiment un peu, beaucoup, passionnément, le cinéma & la jeunesse, ne manquez pas "Mustang"!

De gauche à droite, des femmes habillées de teintes ternes, portent le foulard, au centre une femme vêtue entièrement de noir, porte la burqa alors qu’à droite, une jeune femme moderne avec jean, baskets et les cheveux libres dans une attitude décontractée.

Un peu plus loin, voici l’allure courante que les fougueuses héroïnes de Deniz GAMZE ERGÜVEN refusent absolument, parce qu'elle symbolise pour elles l'aliénation et le renoncement à la liberté.

A ceux qui aiment un peu, beaucoup, passionnément, le cinéma & la jeunesse, ne manquez pas "Mustang"!

Pour ma part, Mustang est plus un film-plaidoyer pour le progrès, la liberté, l’égalité et le droit au bonheur. Il interroge sur l’identité des femmes turques, la place de la sexualité, l’éducation qu’on leur réserve : libérale à l’école et conservatrice dans la famille et la société, pouvant même aller jusqu’aux « crimes d’honneur », comme on l’a vu en Allemagne où vit une importante communauté turque. Cependant, l’auteur a l’honnêteté de montrer que le rôle dévolu aux jeunes hommes n’est guère enviable, non plus. Eux aussi sont mariés, eux aussi subissent la pression des coutumes (Ils sont déshonorés s’ils ne peuvent prouver la virginité de leur épouse et il leur revient de tuer leur femme ou leur sœur, en cas de crimes d’honneur… même s’ils l’aiment ou leur pardonnent). Il n’y a guère que le jeune livreur qui les aide sans contrepartie.

 

 

En fait, toutes les sociétés répressives, tous les Etats autoritaires s’efforcent de contrôler, voire museler la jeunesse et particulièrement les femmes, cantonnées au rang de reproductrices, ménagères, ouvrières (L’Afrique nous donnent de belles images de femmes cultivatrices, éleveuses, vendeuses, chargées d’enfants, pendant que les hommes palabrent et contrôlent rigoureusement l’argent qu’ils n’ont pas gagné…). Le paradoxe, encore un, c’est que l’aliénation se transmet par les femmes qui font subir à leurs filles, le sort cruel qu’elles ont enduré.

A ceux qui aiment un peu, beaucoup, passionnément, le cinéma & la jeunesse, ne manquez pas "Mustang"! A ceux qui aiment un peu, beaucoup, passionnément, le cinéma & la jeunesse, ne manquez pas "Mustang"! A ceux qui aiment un peu, beaucoup, passionnément, le cinéma & la jeunesse, ne manquez pas "Mustang"!

S’agit-il d’un film militant ?

 

Deniz GAMZE ERGÜVEN s’en défend. Pour elle, un film n’a rien à voir avec un discours politique.

En effet, un film est une fiction, les personnages n’existent pas, ils naissent de l’imagination d’un auteur avec lequel nous les partageons. Le cinéma est un art. Il exprime, un message réaliste ou non, divertissant ou non, ou les deux d’ailleurs, qui correspondent plus ou moins, au bout du compte, au questionnement de l’homme sur lui-même et sa place dans le monde. Il se caractérise par une recherche esthétique, c’est-à-dire qu’il invente son propre langage  aux moyens de techniques spécifiques dans la manière d’aborder les sujets. L’œuvre est par conséquent une création qui exprime la vision de son créateur et ses choix esthétiques, mais aussi sa touche personnelle, son style, son talent. Le cinéma étant une œuvre collective, d’autres acteurs peuvent apporter de leur talent, comme les comédiens bien sûr, les concepteurs des décors, les photographes, les musiciens, les costumiers, etc.

La réalisatrice entourée de ses jeunes actrices.

La réalisatrice entourée de ses jeunes actrices.

Ainsi, d’un même sujet, certains auteurs créeront une tragédie, d’autres une comédie, ou un mélange des deux. Le cinéma turc offre deux exemples pertinents sur le thème de l’oppression des femmes :

  • En 1982, le cinéaste Yilmaz GÜNEY remportait la Palme d’Or à Cannes avec son film « Yol ». A travers une pure fiction, il montrait le sort terrible réservé aux Turcs par une société aux traditions barbares (femme adultère enchaînée dans une cave) soumise à un régime politique totalitaire. L’auteur avait choisi la tragédie et l’œuvre était bouleversante.

 

  • En 2015, pour le film qui nous intéresse, si le thème est grave, Deniz GAMZE ERGÜVEN, elle, a choisi de mettre l’accent sur les situations drôles. Elle connait le pouvoir du rire, parfois plus efficace que les larmes. Le spectateur ressent pourtant tout autant l’oppression, s’émeut de l’injustice, néanmoins le rire met, lui, l’accent sur le ridicule des conservateurs, sur le propre de la jeunesse, à savoir son audace parfois aveugle. Ainsi, le rire n’empêche nullement l’interrogation, la réflexion et la prise de position.

Pour terminer, une question que chacun se pose : « Mustang » ! Pourquoi ce titre qui nous mène directement sur Google auprès des sites de la célèbre automobile Ford ?

Il faut se souvenir que le petit cheval du nord-ouest américain, domestique puis retourné à l’état sauvage, est réputé pour sa résistance au dressage, sa fougue et son indépendance.

Le symbolisme est clair !

Merci de votre attention !

Mises à part les photos personnelles d'Istanbul prises en 2010, toutes celles du film viennent du dossier de presse officiel.

Bande annonce du film.

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