Du passé surgissent les derniers vestiges que l’on récupère, soigne et protège, après l’avoir tant fustigé, comme s’il fallait à tout prix se faire pardonner nos mémoires oublieuses. Eh ! Oui, il est toujours joli le temps passé, justement une fois qu’il est passé. En effet, le présent est presque toujours sombre à nos yeux myopes d’humains. Nous nous y déplaçons avec l’angoisse de tomber dans d’invisibles chausse-trapes. Tout nous est piège. Aussi, à force de nous méfier de tout ce qui est nouveau, nous nous accrochons aux images déformées du passé et rejetons ce que le présent porte d’espoirs bredouillants. Comme nous sommes trop paresseux pour nous instruire, nous faisons des raccourcis très hasardeux dans le temps et dans l’espace et nous pataugeons dans des tas de préjugés qui nous semblent des vérités immuables.
Aujourd’hui, nous allons renifler, émus, la larme à l’œil et l’admiration généreuse, les derniers vestiges de cette formidable Révolution industrielle commencée au XIXe avec l’extraction du charbon comme énergie. Après l’avoir fortement critiquée sous la houlette d’écrivains qui l’illustrèrent « à leur façon », plus écrivains qu’historiens et économistes d’ailleurs – les vrais mineurs ne s’y sont pas trompés qui ont écrit leurs propres témoignages. Tous ne se sont pas reconnus dans Germinal, car il y a beaucoup de Zola dans Germinal et le monde des mineurs n'est pas resté figé au XIXème siècle. – après l’avoir fortement critiqué donc, voilà que nous sommes pressés d’idéaliser un travail néanmoins épuisant.
Alors je me demande si nous verserons aussi une larme quand il n’y aura plus aucune centrale nucléaire et plus encore quand il n’y aura plus un homme « naturel » avec ses propres bras et jambes, son propre corps, son véritable âge, son vrai cerveau qui pense et réfléchit et cherche toujours la vérité des choses ?
Vous avez compris, je suis allée visiter le CENTRE HISTORIQUE MINIER de LEWARDE. Département du Nord.
Puissantes et terrifiantes elles ont été dans leur activité, puissantes elles demeurent, dans leur immobilité inoffensive. Elles s’étalent sous les yeux des visiteurs qui les photographient, en silence, celui-ci pour se souvenir du grand-père qui est descendu dans cette fosse, celui-là qui a appris à l’école l’histoire du charbon, des coups de grisou et de la dure vie des hommes, des femmes, même des enfants ! Et même des chevaux !
Aujourd’hui, elles ont presque toutes disparu des paysages du nord de la France. Heureusement, les hommes ont réagi à l’oubli annoncé. On a rassemblé les traces, les souvenirs, on a sauvé ce qui pouvait l’être encore, on restaure sans cesse pour ne pas oublier la grande aventure technologique et humaine de l’extraction du charbon. La mise en scène est parfaite. L’illusion est au rendez-vous.
Suivez-moi !
Auparavant, un petit tour sur le site du C.H.M. pour vous donner quelques renseignements pratiques :
L’adresse : Fosse DELLOYE – rue d’ERCHIN- 59287 LEWARDE. (Nord)
Le site : www.chm-lewarde.com
Quelques renseignements :
- Classé au titre des Monuments historiques depuis 2009.
- Inscrit sur la Liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO.
- Le plus important musée de la mine en France et l’un des premiers en Europe.
- 150 000 visiteurs environ par an.
Des expositions dont actuellement, jusqu’au 28 mai 2017 :
« Germinal est-il une fiction ou un documentaire littéraire ? »
Je regrette de ne pas l’avoir vue, car justement, je me proposais de faire une rencontre croisée entre l’œuvre de ZOLA et la réalité que j’ai photographiée à l’automne dernier. Ce sera l’objet de l’article suivant.
Quand nous arrivons sur le site du Musée, une fois pris nos billets d’entrée, nous découvrons une immense cour rouge parsemée de quelques flaques d’eau – c’est l’automne- et de quelques locomotives. La cour est flanquée de part et d’autre de bâtiments en briques rouges, et nous sommes invités à rejoindre celui de gauche qui correspond au musée minier proprement dit.
Ce qui m’a frappé lorsque j’ai commencé la visite du centre, c’est le thème de la première salle : Les écrivains de la Mine, parmi lesquels une large place a été réservée à Emile ZOLA et son fameux roman GERMINAL. Les sentiments des mineurs sont un peu mitigés pour ZOLA. D’un côté, ils lui sont reconnaissants de s’être intéressé à eux, leur dur travail, leur utilité sociale, leur vie… et de l’autre ils n’adhèrent pas à la vision qu’il a donnée d’eux. Trop misérabiliste. Non ! Les mineurs ne vivaient pas comme cela, etc. De ce fait, il a poussé sans le savoir, de vrais mineurs à raconter eux-mêmes leur vie, certains allant plus loin dans la revendication de leur identité, en choisissant précisément d’écrire en patois ! Comme Jules MOUSSERON témoigne en « rouchi », mélange de patois du bassin minier et de Picardie.
Le bureau du Directeur, le garage à vélos et la fameuse salle des Pendus
Les visiteurs sont ensuite invités à se munir de casques et empruntent une passerelle d’où ils peuvent admirer les bâtiments de la fosse DELLOYE de la Compagnie des mines d’ANICHE. A leur gauche, la passerelle de mise à stock, puis l’entrée de la mine.
L'entrée de la visite et la passerelle de mise à stock
Puis, après un passage dans un faux ascenseur, nous entrons dans une première salle, d’où les berlines pleines devaient être dirigées vers les bâtiments où les blocs seraient triés et concassés.
Derrière nous, la guide nous invite à entrer dans la mine reconstituée. Malgré le bruitage, je dois avouer que je suis un peu déçue, moi qui suis descendue en Pologne visiter l’extraordinaire mine de sel de WIELICZKA à 135 mètres sous terre. C'était au lendemain de la chute du communisme. Nous étions tassés dans l'ascenseur aux parois de bois mal jointoyées. Pas difficile d'imaginer les conditions de travail ! En bas, dépaysement total. J'avoue que rétrospectivement j'ai eu peur !
Un mineur au travail, au XXème siècle.
Creusement d'un puits & descente des mineurs
" Lentement Etienne revint à la recette. Ce vol géant sur sa tête l'ahurissait. Et grelottant dans les courants d'air, il regarda la manoeuvre des cages, les oreilles cassées par le roulement des berlines. Près du puits, le signal fonctionnait, un lourd marteau à levier, qu'une corde tirée du fond, laissait tomber sur un billot. Un coup pour arrêter, deux pour descendre, trois pour monter : c'était sans relâche comme des coups de massue dominant le tumulte, accompagnés d'une claire sonnerie de timbre; pendant que le moulineur dirigeant la manoeuvre, augmentait encore le tapage, en criant des ordres au machineur, dans un porte-voix. Les cages au milieu de ce branle-bas, apparaissaient et s'enfonçaient, se vidaient et se remplissaient, sans qu'Etienne comprît rien à ces manoeuvres compliquées.
Il ne comprenait bien qu'une chose : le puits avalaient des hommes par bouchées de vingt et de trente, et d'un coup de gosier si facile, qu'il semblait ne pas les sentir passer. Des quatre heures, la descente des ouvriers commençait. Ils arrivaient de la baraque, pieds nus, la lampe à la main, attendant par petits groupes d'être en nombre suffisant. Sans un bruit, d'un jaillissement doux de bête nocturne, la cage de fer montait du noir, se calait sur les verrous, avec ses quatre étages contenant chacun deux berlines pleines de charbon. Des moulineurs, aux différents paliers, sortaient les berlines, les remplaçaient par d'autres, vides ou chargées à l'avance des bois de taille. Et c'étaient dans les berlines vides que s'empilaient les ouvriers, cinq par cinq, jusqu'à quarante d'un coup, lorsqu'ils tenaient toutes les cases. Un ordre partait du porte-voix, un beuglement sourd et indistinct, pendant qu'on tirait quatre fois la corde du signal d'en bas, "sonnant à la viande", pour prévenir de ce chargement de chair humaine. Puis, après un léger sursaut, la cage plongeait silencieuse, tombait comme une pierre, ne laissant derrière elle que la fuite vibrante du câble."
GERMINAL, page 39. Emile Zola, Oeuvres complètes. Editions du Livre Précieux.
Il faut savoir que les mineurs devaient étayer eux-mêmes leurs galeries. Durant ce temps, ils ne produisaient pas de charbon pour lequel ils étaient payés. D’où la tendance à allonger les distances d'étayage avec les risques d’éboulements.
Le travail "à col tordu", selon l'expression employée par Jean Simonin.
Mineurs préparant une explosion de la veine de charbon.
Techniques du XXème siècle. Marteau-piqueur, emploi de vérins pour l'étayage, petits trains pour le déplacements des hommes.
"Jamais la mine ne chômait, il y avait nuit et jour des insectes humains fouissant la roche, à six cents mètres sous les champs de betteraves. », écrit Zola, page 71.
Le cheval naturalisé de la mine et quelques documents affichés dans l'écurie où l'on peut imaginer la descente des animaux.
Après la visite de l'écurie avec ses stalles, les consignes données par les vétérinaires pour l'alimentation des chevaux ainsi qu'un registre des visites médicales, votre attention est attirée par le ventilateur du Puits n°1. Destiné à servir de « retour d’air » vicié par opposition au puits d’entrée d’air. La profondeur maximum d’extraction a atteint 479 mètres dans les années 1960.
On aperçoit sur la photographie un tuyau gris clair qui monte à la verticale le long du mur : c’est un exutoire de grisou.
Ne manquez pas la visite, elle vaut le détour !
A bientôt pour une réflexion sur le roman et son auteur.
Merci de votre attention.
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