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23 décembre 2015 3 23 /12 /décembre /2015 14:18
Une plongée au ralenti dans les ténèbres : Seul le silence… de Roger Jon ELLORY.

Six cent deux pages ! Même si l’on est un bon lecteur et qu’on vient justement d’en lire de suite plusieurs de cet acabit, ce qui implique un long moment de vie agitée par les méandres on-ne-peut-plus sinueux, aussi bien dans l’espace que dans le temps, à suivre l’auteur, le perdre parfois et le retrouver – ouf ! – à s’embrouiller les neurones à vouloir tout comprendre, tout deviner, de la progression des actions, récits, enquêtes, et des personnages plus vrais que nature, ou complètement loufoques, déjantés, dans lesquels perce un peu de soi quand même – on ne s’y attend pas toujours ! Tant pis ou tant mieux ! – après être passé par un tsunami d’émotions qui ne se calment qu’au moment où, d’épuisement, on s’endort, insatisfait – il reste encore 300 pages…200 pages… 100 pages… Mais va-t-on savoir à la fin qui est l’assassin ? – et que le livre s’échappe de nos mains inertes, tombe du lit et nous réveille ahuri…

Six cent soixante-deux pages, Monsieur Roger Jon ELLORY, c’est dur, mais quel plaisir ! Difficile quand on commence la lecture de votre roman policier de le quitter ! Page six cent deux… On voudrait déjà en savoir plus, que Joseph continue de nous parler.

SEUL LE SILENCE

Traduction française du titre original : A QUIET BELIEFS IN ANGELS

 

Si le titre anglais semble insister sur le fait que le narrateur / héros croyait aux anges gardiens dans son enfance, bien qu'ils ne l'aient jamais protégé, au contraire ! Pas plus que la trentaine de petites filles assassinées , ces anges paraissant plutôt avoir protégé leur assassin, la traduction française fait référence au silence qui répond à son angoisse, quand blessé, il se vide de son sang, se penche une dernière fois sur sa vie et s'attend à la perdre.

" Car personne n'a entendu les coups de feu. Personne n'a crié. pas de bruits de pas précipités dans le couloir. (...) Seul le silence dedans et dehors ".

... Mais aussi au silence permanent, implacable qui a accompagné toutes ses interrogations sur les drames de sa vie.

 

 

 

Le roman noir est dédié à Truman CAPOTE, l’auteur du terrible thriller : « De sang froid » …

L’auteur raconte l’histoire mouvementée d’un homme.

Tout commence le 12 juillet 1939, à AUGUSTA FALLS, Géorgie, avec la mort du père de Joseph Calvin VAUGHAN, alors âgé de 12 ans.

La Mort vint ce jour-là. Appliquée, méthodique, indifférente aux us et aux coutumes; ne respectant ni la Pâque, ni la Noël, ni aucune célébration ou tradition. La Mort vint, froide et insensible, pour prélever l'impôt de la vie, le prix à payer pour respirer. Et lorsqu'Elle vint je me tenais dans la cour sur la terre sèche parmi les mauvaises herbes, le mouron blanc et les gaulthéries. Elle arriva par la grand-route, je crois, longeant la démarcation entre les terres de mon père et celle des Kruger. Je crois qu'elle arriva à pied, car plus tard, lorsque j'en cherchai, je ne trouvai ni empreintes de cheval ni traces de bicyclette, et à moins que la Mort ne pût se déplacer sans toucher le sol, je supposai qu'Elle était venue à pied.
La Mort vint pour prendre mon père.

Seul le silence, de R.J. Ellory. Livre de Poche. (2008)

Le récit s’achève en 1967. On n’entendra plus parler de Joseph. Frustration complète… Néanmoins, dans le prologue, l’auteur revient sur son personnage.

Bien entendu, je ne vous en dirai pas plus.

La structure du roman s’organise autour de deux pôles : le présent du narrateur composé de quelques pages écrites en italique correspondant à sa confrontation avec l’assassin, et probablement ses derniers instants, son dernier jour.

Je suis assis calmement. je sens la chaleur de mon propre sang sur mes mains, et je me demande si je vais continuer à respirer longtemps. je regarde le corps d'un homme mort devant moi, et je sais qu'à quelque petite échelle justice a été rendue."

Idem.

Dans le deuxième pôle, soit la presque totalité du roman, Joseph VAUGHAN se penche sur son passé et prend le lecteur à témoin pour expliquer son geste. En effet, il raconte les événements qu’il a vécus, évoque le cadre historique (Hitler, la guerre en Europe puis la mobilisation des troupes américaines pour intervenir dans la guerre), ainsi que le cadre géographique qu’il décrit précisément (sa Géorgie natale, New-York et Brooklyn, son retour au pays, son errance sur les traces de l’assassin et de nouveau Brooklyn), y compris le cadre sociologique avec la description de ses camarades, leurs familles, les paysans, l’école, les shérifs en Géorgie, plus tard les milieux intellectuels et artistes de New York, l'épouvantable prison d’Auburn State et la vision de l'Amérique de cette époque.

Ces trois cadres par leur précision ancrent solidement le récit dans la réalité au point que l’on se surprend à imaginer que Joseph a « vraiment » existé et que le récit « fictif » n’est rien d’autre que ses « mémoires », tant la « vraisemblance » indispensable au roman, d'après Maupassant, est réelle.

Le personnage est riche de sensibilité, humanité. Ces deux qualités exacerbées chez lui font aussi son malheur, car il est dès l’enfance obsédé par ces crimes odieux qui l’empêchent d’être heureux quand l’occasion se présente.

Les personnages secondaires nous touchent également, qu'ils soient positifs, tragiques ou négatifs. Le destin de sa mère est bouleversant, l'institutrice Alexandra Weber joue un rôle clé dans sa vocation d'écrivain, ses amis de New York l'aident à se sortir d'un traquenard bien orchestré et même les deux frères condamnés dont il partage la cellule...

"Elle a été violée, entendis-je Reilly dire. une petite fille, jamais fait de mal à personne... et une espèce d'animal l'a violée, battue et étranglée, puis il l'a abandonnée dans le champ au bout de la grand-route.
- D'après moi, c'est un de ces Nègres", affirma Gunther Kruger.
Ma mère répliqua sur un ton ferme et implacable :
"Ça suffit, Gunther Kruger. A l'heure même o^nous parlons vos compatriotes se laissent entraîner par un tyran dans une guerre dont nous avons tous prié pour qu'elle n'ait jamais lieu. Le gouvernement polonais est exilé à Paris; j'ai même entendu une rumeur qui affirme que Roosevelt va devoir aider les Britanniques à acheter des canons et des bombes à l'Amérique. des milliers, des centaines de milliers, peut-être des millions de gens vont mourir... tout ça à cause des Allemands.
- Un tel point de vue est injuste, madame Vaughan... pas tous les Allemands...
Et pas tous les Noirs , monsieur Kruger."

idem.

Cette mort ne sera pas unique.

D’autres petites filles mourront, des camarades de classe, puis dans d'autres villes, d'autres États. Des crimes non élucidés, des familles qui s’enfoncent dans la douleur silencieuse, sauf Joseph qui refuse la fatalité et craint les réactions des habitants d’Augusta Falls.

Il confie à son institutrice ses angoisses face à l’injustice et sa propre impuissance.

Un jour que j'étais à nouveau resté après la classe pour nettoyer les chiffons du tableau, je fis part de mes angoisses à mademoiselle Weber. Elle sourit et secoua la tête.
- Alors écris ce que tu as sur le cœur, dit-elle. Écrire peut servir à exorciser la peur et la haine; ça peut être un moyen de surmonter les préjugés et la douleur. Au moins, si tu sais écrire, tu as une chance de t'exprimer... tu peux offrir tes pensées au monde, et même si personne ne les lit ou ne les comprend, elles ne sont plus piégées au fond de toi. Si tu les gardes... si tu les gardes en toi, Joseph Vaughan, un jour tu risques d'exploser."

idem.

Le jeune VAUGHAN va donc se mettre à chercher l’auteur des incompréhensibles meurtres qui l’obsèdent au point d’y consacrer la plus grande partie de sa vie, sacrifiant même plus tard sa carrière naissante d’écrivain, persuadé qu’il ne connaîtra la paix qu’avec la fin de sa traque, à travers cinq États durant trente ans.

« Peut-être me disais-je que si j'écrivais suffisamment sur la réalité alors je me viderais, et que de ce vide naîtrait les fruits de l'imagination et de l'inspiration. J'écrirais alors quelque chose comme Steinbeck ou Fenimore Cooper, une œuvre de fiction et non une œuvre autobiographique. Ce n'est que plus tard que je compris que les deux étaient liées : l'expérience façonnée par l'imagination, devenait de la fiction, et la vie, à travers le prisme de l'imagination, devenait une chose que l'on pouvait mieux tolérer et comprendre. »

Un mot de l’écriture qui est non seulement agréable, mais précise et belle. Et, puisqu’il s’agit d’un roman policier, le suspense est parfait. R.J. ELLORY a reçu le Prix du roman noir pour cette œuvre, que Michel Abescat, journaliste de TELERAMA décrira ainsi : « Un véritable piège, dévorant, parfaitement construit… une révélation. »

J’ai apprécié ce livre.

Si je vous ai convaincu (e), je vous souhaite une bonne lecture.

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