La liberté doit être, c’est une évidence. Ou elle n’est pas. Dans ce cas, le mot lui-même meurt - il n’a pas toujours existé, il suffit de lire l’histoire de la philosophie - parce qu’il n’a plus de raison d’être.
Soit j’ai le droit de penser, d’exprimer, d’être ce que je veux, - je me situe sur le plan de la volonté de mes choix conscients, car, bien entendu je ne suis pas libre de choisir d’être ou non malade, de mes caractères physiques, de mes origines, et suis-je libre de penser ce que je pense ?, etc. - Il s’agit de ma liberté courante, observable, en tant que personne humaine. « Immanente », diraient les philosophes.
Soit je n’en ai pas le droit, parce que je suis opprimé, enfermé, terrorisé.
Il n’y a pas de demi-mesure. Dès l’instant que je m’impose le silence, pour ne pas choquer, pour plaire, pour être acceptée, élue ou autre raison, je ne suis pas libre.
Pourtant la vie en société m’impose des limites, sans quoi vivre ensemble est impossible. Ces limites je dois les reconnaitre comme valables, condition indispensable pour les accepter. Ainsi, je ne les ressens pas comme une entrave à ma liberté. Il y a une condition indispensable également, c’est que tout le monde les accepte avec moi. C’est le fameux « la liberté de chacun s’arrête où commence celle des autres ». C’est une forme de respect de l’autre et le ciment de toute vie sociale.
Lors de l’adoption par le Président de la République de l’état d’urgence, qui contraint les personnes, notamment par les fouilles à l’entrée des lieux à risque, des surveillances accrues, les trois-quarts des Français ont déclaré accepter des entorses à leur liberté pour la sécurité de tous, d’après les sondages d’opinions publiés par les chaines de télévision.
Nous devons cependant être très vigilants quant aux consentements que nous accordons à ces limites, car la frontière entre l’acceptable et l’inacceptable peut être franchie, du fait qu’elle dépend des gouvernants dont les intentions et promesses peuvent évoluer. L’Histoire est pleine de ces « débordements ». De plus, cette frontière dépend des cultures et des aléas de l’Histoire même des peuples. D’où la nécessité de la codifier dans des lois pour la garantir.
Néanmoins, nous avons besoin pour penser de nous raccrocher au concept absolu de liberté, de lui donner une certaine transcendance. Autrement dit la penser comme « idéale ».
En effet, nos valeurs – le bien, le vrai, le juste, le beau, la tolérance, etc. - héritées des premiers penseurs grecs, celles que l’on se plait à écrire avec des majuscules pour bien les différencier justement, sont des phares pour notre pensée. Nous les brandissons comme des drapeaux, même si les débats philosophiques, les simples discussions entre amis montrent que ces valeurs « communes » ne recouvrent pas les mêmes définitions. Toute société a besoin d’un certain consensus autour de ces valeurs. Malheureusement, la société humaine n’est pas universelle et comme l’écrivit Blaise PASCAL, mathématicien, philosophe, au XVIIe siècle, « Vérité en deçà des Pyrénées erreur au-delà ».
D’où l’origine des drames aujourd’hui. Notre civilisation occidentale, construite par d’innombrables efforts et sacrifices, découvre que nos valeurs, celles-là même que nous pensons universelles, que nous voulons partager avec l’humanité toute entière, que nous sommes prêts à défendre becs et ongles, non seulement ne sont pas partagées par tous les peuples, mais sont rejetées, bafouées, promises à la destruction et leurs adeptes avec. Nos détracteurs vont jusqu’à en prendre le contre-pied. Ils se font les champions de l’intolérance, de la cruauté, ils abhorrent la culture et détruisent les chefs-d’œuvre que les générations précédentes d’artistes et de mécènes nous ont laissés en héritage et comme tremplin afin que nous allions plus loin. Ils nient la science et la connaissance, la poésie, les arts, la philosophie ainsi que la culture physique. Ils considèrent le plaisir et la joie de vivre comme diaboliques et sont la plus formidable entreprise contre les femmes, ravalées au rang de sous-humanité.
L’exécution des dessinateurs de Charlie-hebdo, pour qui le rire et la dérision étaient les antidotes indispensables, parce que capables de rendre la réalité tragique du monde supportable, le massacre des jeunes, coupables d’avoir aimé le plaisir de la musique, le massacre heureusement avorté du public amoureux du sport au stade de France, montrent la volonté criminelle de gens assoiffés de pouvoir et désireux de conquérir le monde et notre civilisation dans ce qu’elle a de meilleur, par la terreur, au nom d’une caricature de religion.
Le dessinateur et caricaturiste alsacien HANSI célébra avec d'autant d'enthousiasme la libération de l'Alsace qu'en tant que résistant, il avait connu la prison sous l'occupation allemande. Rappelons qu'il a été interdit pendant cinquante ans de parler français en Alsace entre autres brimades !
Souvenez-vous du roman d’Umberto ECO, remarquablement mis en scène par le réalisateur Jean-Jacques ANNAUD : « Le Nom de la Rose ». Au nom de quoi le vieil abbé empoisonnait-il les jeunes moines copistes ? Parce qu’ils appréciaient les textes anciens qu’ils recopiaient, notamment la comédie grecque qui les faisait rire. On sait que le rire fait prendre de la distance par rapport à la condition humaine et permet de triompher de ses problèmes. Le vieux moine voulait, lui, conserver seulement les textes des Anciens dans la gigantesque bibliothèque, mais qu’on ne s’en serve pas, qu’on ne les apprécie pas, qu’on n’en tire pas de leçon. Pour cela, il disposait d’un outil de terreur : l’Inquisition.
Face aux terroristes islamiques, face à leurs menaces, à leur soif de pouvoir, pas de compromis possible. Nous devons lutter pour continuer d’être ce que nous sommes, pour notre culture et pour l’avenir des générations futures.
C’est incontestablement le message que nous ont laissé les victimes de Charlie-Hebdo. Malgré les menaces, ils avaient choisi de continuer de rire de ce qui est risible dans l’homme. Le drame de Charlie-Hebdo a suscité parfois des critiques. On a dit qu’ils étaient allés un peu fort dans la caricature, qu’ils auraient pu éviter de provoquer, voire blesser des gens… Mais s’ils s’étaient censurés, au nom du « religieusement correct », ils auraient donné raison aux ennemis de la liberté qui seraient, de ce fait, arrivés à leur fin.
Quand la nation, choquée, meurtrie, a besoin de faire front contre l'adversité, et pour cela de s'unir toute entière malgré les différences, sous la banière du drapeau, alors chacun arbore les couleurs nationales et entonne avec émotion la Marseillaise, comme on a pu le voir dans la France entière, depuis le le 13 novembre...
Pour rendre hommage aux victimes innocentes des barbares, j’ai choisi de réveiller quelques poèmes que Paul ELUARD et Louis ARAGON écrivirent pour célébrer la fin d’une époque également barbare, celle de la Deuxième Guerre Mondiale.
Le plus connu est sans doute son Hymne à la Liberté, publié dans le recueil « Poésie et Vérité », en 1942. Eluard était alors engagé dans la Résistance. Qui ne l’a étudié en classe ? Aussi je vous en propose deux autres :
« Au nom du front parfait profond
Au nom des yeux que je regarde
Et de la bouche que j’embrasse
Pour aujourd’hui et pour toujours
Au nom de l’espoir enterré
Au nom des larmes dans le noir
Au nom des plaintes qui font rire
Au nom des rires qui font peur
Au nom des rires dans la rue
De la douceur qui lie nos mains
Au nom des fruits couvrant les fleurs
Sur une terre belle et bonne
Au nom des hommes en prison
Au nom des femmes déportées
Au nom de tous nos camarades
Martyrisés et massacrés
Pour n’avoir pas accepté l’ombre
Il nous faut drainer la colère
Et faire se lever le fer
Pour préserver l’image haute
Des innocents partout traqués
Et qui partout vont triompher. »
1943. Les sept Poèmes d’amour en guerre.
Gabriel Péri
Un homme est mort qui n’avait pour défense
Que ses bras ouverts à la vie
Un homme est mort qui n’avait d’autre route
Que celle où l’on hait les fusils
Un homme est mort qui continue la lutte
Contre la mort contre l’oubli
Car tout ce qu’il voulait
Nous le voulions aussi
Nous le voulons aujourd’hui
Que le bonheur soit la lumière
Au fond des yeux au fond du cœur
Et la justice sur la terre
Il y a des mots qui font vivre
Et ce sont des mots innocents
Le mot chaleur le mot confiance
Amour justice et le mot liberté
Le mot enfant et le mot gentillesse
Et certains noms de fleurs et certains noms de fruits
Le mot courage et le mot découvrir
Et le mot frère et le mot camarade
Et certains noms de pays de villages
Et certains noms de femmes et d’amis
Ajoutons-y Péri
Péri est mort pour ce qui nous fait vivre
Tutoyons-le sa poitrine est trouée
Mais grâce à lui nous nous connaissons mieux
Tutoyons-nous son espoir est vivant.
1944. Au Rendez-vous allemand.
Cette tapisserie de LURCAT est un hommage au poème d'Eluard "Liberté". On peut en lire quelques vers.
Louis ARAGON publia clandestinement en 1943, le poème suivant intitulé « Je vous salue ma France », dont voici de larges extraits :
« …
Je vous salue ma France arrachée aux fantômes
O rendue à la paix Vaisseau sauvé des eaux
Pays qui chante Orléans Beaugency Vendôme
Cloches cloches sonnez l’angelus des oiseaux
Je vous salue ma France aux yeux de tourterelle
Jamais trop mon tourment mon amour jamais trop
Ma France mon ancienne et nouvelle querelle
Sol semé de héros ciel plein de passereaux
Je vous salue ma France où les vents se calmèrent
Ma France de toujours que la géographie
Ouvre comme une paume aux souffles de la mer
Pour que l’oiseau du large y vienne et se confie
Je vous salue ma France où l’oiseau de passage
De Lille à Roncevaux de Brest au Mont-Cenis
Pour la première fois a fait l’apprentissage
De ce qu’il peut coûter d’abandonner un nid
Patrie également à la colombe ou l’aigle
De l’audace et du chant doublement habitée
Je vous salue ma France ou les blés et les seigles
Mûrissent au soleil de la diversité
Je vous salue ma France où le peuple est habile
A ces travaux qui font les jours émerveillés
Et que l’on vient de loin saluer dans sa ville
Paris mon cœur trois ans vainement fusillé
Heureuse et forte enfin qui portez pour écharpe
Cet arc-en-ciel témoin qu’il ne tonnera plus
Liberté dont frémit le silence des harpes
Ma France d’au-delà le déluge salut »
(Août-Septembre 1943. Le Musée Grévin. Editions de Minuit)
A celles et ceux qui s’intéressent à la philosophie, qui ont envie de penser par eux-mêmes, soit en tant que lycéen étudiant, soit en tant qu’autodidacte, je conseille vivement le petit livre d’André COMTE-SPONVILLE publié au Livre de Poche :
« Présentations de la philosophie »,
Ce petit ouvrage de 180 pages très clair, très pédagogique, a été écrit pour aider nos premiers pas en philosophie. Il est composé de 12 leçons de quelques pages qui traitent des grands sujets : la morale, la politique, l’art, la liberté, la mort, l’homme, la sagesse …
Bonne lecture et merci de votre fidélité.