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23 octobre 2012 2 23 /10 /octobre /2012 08:45

Un des plus beaux films d'Aki KAURISMAKI, cinéaste finlandais.


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J'ai revu avec plaisir ce film diffusé à la télévision samedi 20 octobre dernier.

L'univers de Kaurismäki me surprend tellement par sa noirceur, sa désespérance, qu'il me fait rire! J'entends déjà les rumeurs des cinéphiles avertis me bourdonner aux oreilles.

On évoque Buster Keaton, l'homme qui ne riait jamais. Il est vrai que le rire du spectateur naît ,entre autres,de l'inadéquation du comportement des héros avec la situation dans laquelle ils se démènent. Il naît aussi de leur lucidité - ils savent qu'ils sont dans de sales draps- mais ils agissent malgré tout comme si de rien n'était, comme si le monde était tel qu'ils le rêvent. On voit cela chez Charlie Chaplin également, pour ne citer que les Anciens. En ce sens, Kaurismäki est un grand cinéaste.

Oui, on peut compter les sourires que les personnages échangent sur les doigts de la main. Vous allez dire que j'exagère. Allez! Sur les doigts des deux mains! Les portraits du cinéaste lui-même, son attitude lors des interviews, même en présence du public conquis des festivals, son regard souvent fuyant, les nuages de fumée de cigarettes derrière lesquels on peine à le voir, tout semble indiquer une personne fondamentalement pessimiste.

Il y a quelques années, quand j'ai découvert une partie de son oeuvre immense, je suis posée la question suivante : ses personnages (pas seulement dans ce film-là) sont-ils à son image? Ou bien, le cinéaste choisit-il de peindre la psychologie, les moeurs, les expressions culturelles, les caractères propres des Finlandais? Comment font-ils pour tomber dans les bras les uns des autres, cela arrive, tout en gardant des visages de marbre? Je pense au théâtre antique grec, mais aussi aux visages hiératiques du théâtre asiatique.

Quoiqu'il en soit, j'ai de plus en plus envie d'aller découvrir ce pays aux milliers de lacs, histoire de voir si les Finlandais expriment leurs émotions et sentiments autrement qu'en regardant dans le vide!

Certes, les femmes de Kaurismäki ne sont pas celles d'Almodovar! On ne s'exprime pas de la même façon selon que l'on fréquente plusieurs mois de nuit polaire ou l'été andalous!

 

Le film, sorti en 1996, se passe à Helsinki.  Il raconte l'histoire d'un couple qui mène une vie tranquille, avec leur chien (qui lui non plus ne s'exprime pas beaucoup!). Ilona est maître d'hôtel dans un restaurant, le "Dubrovnik", Lauri, son mari, est conducteur de tramways. Ils sont propriétaires de leur appartement, d'une vieille Buick et disposent de meubles -canapé, bibliothèque, télévision- achetés à crédit, mais pas encore payés. Ils font des projets, par exemple acheter bientôt les livres qui iront dans la bibliothèque. Ils sont heureux, d'un bonheur tout intérieur.

Mais, Lauri est licencié, après tirage au sort et refuse par dignité l'allocation de chômage. Peu après, le "Dubrovnik" est vendu à une chaîne, aussi Ilona perd son emploi. Commence la descente aux Enfers. Lauri ne peut pas prétendre à un emploi similaire pour raison de santé. Ilona ne trouve à s'employer que dans un boui-boui, auprès d'un patron véreux qui ne la déclare pas au fisc et ne la paye pas, une fois licenciée. Pendant ce temps, les meubles sont saisis, la voiture est vendue. Ses collègues sont dans la même situation. Tous fument et boivent encore plus! Mélartin le portier se fait embaucher comme cordonnier, tout en se demandant combien de temps il va faire illusion. Ilona est sur le point d'accepter un travail de coiffeuse quand elle rencontre son ancienne patronne. Celle-ci est prête à se porter caution auprès de la banque pour investir dans une autre affaire.

Le nouveau restaurant s'appelle "Le Työ" (Le Travail). Le jour de l'ouverture, l'angoisse devant le risque d'échec est palpable. Les personnages restent de glace, comme d'habitude, mais les spectateurs se rongent les sangs. Puis, les clients arrivent peu à peu. La salle se remplit. Les réservations affluent. La dernière image du film montre Ilona et Lauri, sortant du restaurant, les yeux levés vers le ciel où les nuages s'estompent.


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Dans cette oeuvre, l'auteur s'est surtout attaché à illustrer les effets psychologiques du chômage. Il n'échappe pas à un certain didactisme.

- La destruction des liens sociaux: les employés se séparent et sont seuls à gérer leur malheur. Dans l'alcool. Ilona et son mari semblent vivre séparément leur misère morale. Ils rentrent à tour de rôle ivres et c'est l'autre qui les traîne jusqu'au lit. Ils sont également le jouet des "profiteurs de la misère" : Ilona doit payer pour avoir l'adresse d'un boui-boui.

- La destruction de" l'ancrage au monde réel". Chaque personnage "fait semblant" que tout va s'arranger. En buvant toujours beaucoup. Ilona fait tout dans le boui-boui où elle travaille, l'accueil, la cuisine, le service... Mais elle se cache des clients, qui n'en ont que faire, d'ailleurs, pour cuisiner sur un pauvre réchaud. Suprême déchéance par rapport aux cuisines professionnelles qu'elle a connues. Immense dignité de sa part. Elle ne s'avoue pas vaincue.

Pour tenter de financer l'achat d'un autre restaurant, Lauri vend leur vieille Buick. Cela ne suffit pas. Il va donc jouer l'argent au casino et il perd tout. Politique désastreuse du "tout ou rien".

- Et puisque l'on ne peut plus faire valoir ses capacités pour vivre, puisqu'il ne sert à rien de bousculer le Destin -Sisyphe remonte inlassablement son rocher!- puisque "les jeux sont faits"... alors jouons à notre tour! Lauri a perdu son emploi en tirant la mauvaise carte! Ilona s'endort devant la porte de l'agence d'intérim et rate les deux seuls emplois de maîtres d'hôtel... Kaurismäki nous plonge dans une authentique tragédie classique.

D'où le désarroi des spectateurs, sans cesse témoins - comme dans le théâtre de Bertold Brecht - du malheur des personnages qui font le contraire de ce que leur situation exigerait. Comme s'ils avaient perdu la tête et que, "tant qu'à faire, autant faire l'autruche!" Ainsi le couple continue de parler (toujours très peu), pendant la saisie de leurs meubles, comme si de rien n'était. Et Lauri continue de jouer aux Mots fléchés pendant que sa femme lui dit qu'ils vont devoir "vendre l'appartement"!

 

Cependant, l'auteur a choisi une vraie "happy end". Pour une fois, disent certains. Il a dérogé à sa vision habituelle. Sommes-nous pour autant revenus dans la réalité? Rien n'est moins sûr! Je serai tentée de penser que "C'est trop beau..."  Sans doute me suis-je laissé contaminer par l'ambiance korismakienne.

 

Quelques mots de la forme.

Ce film s'inscrit, au niveau de son contenu, dans la même veine que les grands néo-réalistes italiens, comme Vittorio de Sicca, Zavatini... Aki Kaurismäki dit lui-même qu'il "aspire à un genre néo-réalisme, associé à beaucoup d'éléments comiques". Un néo-réalisme, purgé de l'expression des sentiments, autrement dit sans larmes, sans visages douloureux, sans cris. Ses personnages subissent l'adversité avec courage et un parfait contrôle de soi.Visiblement, le malheur ne peut rien contre eux.

Les choix stylistiques, au niveau des décors offrent une esthétique plutôt kitsch. Couleurs crues: verts, bleus, manteau rouge d'Ilona, rouge du canapé, sang sur la main de Mélartin, visage sanguinolent de Lauri, battu par le patron truand de sa femme. Couleurs vives comme pour marquer qu'on ne laissera pas la grisaille envahir sa vie.

Enfin, le style propre à l'auteur, mélange savant entre gravité et rire. Il vaut mieux dire "pince-sans-rire", à cause de l'attitude figée des personnages, la concision des dialogues, la neutralité des voix. En fait, le monde que Kaurismäki peint est triste, monotone, déprimant, mais il peut être vivable. Même beau. Et même heureux.

Morvane.

 

Pour en savoir plus, notamment sur la biographie d'Aki Kaurismäki, sa filmographie et la totalité des oeuvres de ce cinéaste de 55 ans, vous pouvez consulter Wikipedia, pas exemple, ainsi que d'autres sites ou blogs que je ne peux citer ici, vu leur nombre.

Vous pouvez vous procurer ou louer ses films auprès des sites spécialisés.

 

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