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31 août 2016 3 31 /08 /août /2016 14:50

La première enquête policière de son personnage fétiche : Erlendur.

Il se passe toujours quelque chose dans les villes, la nuit.

A Reykjavik, chaque nuit, dans le dédale des rues et des quartiers aux noms imprononçables pour nous, patrouillent trois jeunes hommes : un jeune policier ERLENDUR âgé de 28 ans et deux étudiants en droit employés pour l’été dans la police, Gardar et Marteinn. Ils roulent dans une Chevrolet noire et blanche peu maniable, au gré des appels du central qui leur signale ici une dispute conjugale, là une empoignade entre voisins qui se termine dangereusement au couteau, là une femme salement amochée qu’ils envoient à l’hôpital…

Les hurlements des sirènes se rapprochaient. Une ambulance s'egagea dans la rue et se gara devant la maison, suivie par une voiture de police. Réveillés par le bruit, les voisins s'étaient mis aux fenêtres et certains avaient même ouvert leur porte. Ils regardèrent les ambulanciers emmener la femme sur une civière et le fourgon de police quitter le parking, le mari à son bord. Le calme revient bientôt dans la rue et tous retournèrent se coucher, étonnés de ces perturbations nocturnes.

Les nuits de Reykjavik, p.16, Ed. Points

L’aube se profile enfin, réduisant le tapage nocturne.

Erlendur rentre chez lui. Il se rappelle le clochard que des enfants avaient retrouvé noyé dans une mare l’année précédente et n’arrive pas à le chasser de son esprit. La police avait vite conclu à un accident. Erlendur avait rencontré l’homme peu avant sa mort. Il lui avait confié que quelqu’un avait tenté d’incendier la cave où il s’était réfugié. Mais personne ne l’avait écouté. Erlendur s’en voulait de lui avoir manifesté la même indifférence que les autres. Il est vrai que les clochards quémandent toujours un peu d’argent pour s’acheter de l’alcool et notre policier lui avait refusé.

Les nuits de REYKJAVIK, d’Arnaldur INDRIDASON

Portrait d’Erlendur :

Il n’avait pas grand-chose à faire quand il n’était pas de service. Il aimait flâner en ville autour de l’étang Tjörnin ou dans la baie de Nautholsvik et le fjord de Skerjafjördur. Parfois, il allait marcher dans les montagnes et dormait sous la tente si les prévisions météo le permettaient.

Il fréquentait peu les bars à cause du bruit et de la consommation d’alcool.

Quant aux femmes, il avait plus ou moins une liaison avec une jeune femme Halldora.

Il n’avait pas un parcours scolaire glorieux, ayant en tout et pour tout son certificat d’études. Issu d’une famille pauvre, il avait dû travailler tôt. Il se disait qu’il profiterait bien d’une section destinée aux adultes pour passer son bac et aller à l’université.

Un trait de caractère le définissait : son empathie. Il n’était pas indifférent aux autres et éprouvait une réelle compassion pour les êtres humains malmenés par la vie. Il avait fini par se demander si «  ce n’était pas sa passion pour les destins tragiques qui l’avait conduit à s’engager dans la police ».

Aussi s’intéressait-il particulièrement aux disparitions qui, dans un pays comme l’Islande, au climat rude et imprévisible, ne concernaient pas seulement des adolescents fugueurs ou des chasseurs qui ne rentraient pas à l’heure convenue, mais des voyageurs qu’une brusque tempête de neige retenait dans les montagnes pendant des jours, et dont on retrouvait les corps des mois plus tard, ou des chasseurs gagnés par des vagues de brouillard dans lequel ils s’égaraient en quelques minutes, ne pouvant trouver leur chemin, errant désespérément avec la peur de tomber dans une crevasse profonde de glacier, d’où nul sauveteur ne saurait les trouver.

On avait beau envoyer des brigades de sauveteurs ratisser méticuleusement le terrain des jours durant, les recherches demeuraient infructueuses. ne restaient plus alors que des questions sans réponses. (...)
Les disparitions n'étaient le plus souvent pas considérées comme suspectes. Poussé principalement par sa curiosité, Erlendur passait de longues heures à feuilleter de vieux rapports et à se documenter sur toutes sortes d'affaires, qu'il s'agisse de disparitions ou d'enquêtes non résolues, même si ces dernières le passionnaient moins. Il existait tout de même quelques exceptions à cette règle. Il en allait ainsi de la mort d'Hannibal, même si rien ne lui permettait de mettre en doute le caractère accidentel du décès. C'était avant tout parce qu'il avait connu la victime qu'il s'était intéressé à son histoire et qu'il s'était mis à explorer un certain nombre de pistes.

Les nuits de Reykjavik, p. 43/44

L’ « accident » d’Hannibal :

Pendant la Grande Guerre, les Islandais ont dû creuser des tourbières pour se chauffer, à cause de la pénurie de combustible. Une fois la guerre terminée, les importations de charbon et pétrole ont repris et les fosses se sont remplies d’eau et ont été laissées à l’abandon. Plus tard, elles sont devenues un terrain de jeux des enfants qui pouvaient y faire du vélo sur les pistes, construisaient des radeaux pour naviguer sur les mares et l’hiver y pratiquaient le patin à glace.

Le roman commence avec la découverte par des enfants d’un noyé. Le corps avait été retrouvé à l’endroit le plus profond. Il s’agissait d’un clochard connu sous le nom d’Hannibal. La police avait vite conclut à un accident à cause du taux d’alcoolémie, de l’absence de trace de lutte, de témoin, ou d’indices laissés sur les lieux comme des traces de pneus. Il faut dire que le lieu du drame avait été abondamment piétiné par les curieux et Erlendur, qui avait ressenti le peu de compassion de la société pour ces laissés-pour-compte, avait des doutes sur le sérieux de l’enquête.

La « culpabilité » d’Erlendur :

Le jeune policier avait eu affaire à ce clochard lors de ses débuts. Hannibal posait problème à la police qui dut intervenir pour des raisons diverses liées à son alcoolisme.

Ce soir-là, libre de service, il avait regagné les anciennes tourbières. Il se sentait attiré par ce lieu et ce drame. Et s’il s’était agi d’un meurtre ? Et si l’enquête avait été bâclée ? Et si l’accident avait été trop évident, au point de masquer la vérité ? Quelque chose lui disait qu’il devait chercher pour rendre justice à cet homme et à travers lui, à tous les exclus des sociétés modernes. Il se souvenait de leurs premières rencontres.

Leurs chemins s'étaient croisés pour la première fois en plein hiver. Assis sur un banc de la place Austurvöllur, courbé et apparemment endormi, Hannibal tenait entre ses doigts transis une bouteille d'alcool vide. Il gelait à pierre fendre et, après quelques hésitations, la patrouille avait décidé de l'emmener au commissariat afin de l'abriter pour la nuit dans une des cellules. Erlendur était certain qu'il mourrait de froid s'ils n'intervenaient pas et il avait dit à ses collègues qu'il refusait d'endosser une telle responsabilité. Ils avaient donc embarqué Hannibal dans la voiture où il était revenu à lui.

Les nuits de Reykjavik, p.22

Une autre fois, il l'avait découvert au pied de la clôture en tolle ondulée d'un lieu qui servait de refuge aux vagabonds contre le froid piquant du vent du nord. Assis, jambes repliées, vêtu d'un anorak vert troué, les pieds gagnés par la neige balayée par le vent, il était inerte et le policier avait eu du mal à le faire réagir. Il avait dû mobiliser toutes ses forces pour le mettre debout afin de l'accompagner "chez lui". Hannibal, ayant repris ses esprit, lui avait indiqué le chemin jusqu'à une petite maison. Un escalier étroit menait à une cave fermée par un simple loquet, dans laquelle régnait un capharnaum puant.

Voici mon refuge dans ce monde maudit, ironisa le clochard en trébuchant sur le seuil.

Les nuits de Reykjavik, p. 24

La vie du jeune policier avait continué son cours avec son lot de problèmes répétitifs : les interventions pour des cambriolages, des disputes, du tapage nocturne, des agressions…

Mais le clochard, lui, avait été mis à la porte de son abri, suite à un début d’incendie dans la cave qu’il occupait à titre gratuit. Il eut beau clamer son innocence, il se retrouva à la rue.

 

L'été de sa mort, on l'avait en effet expulsé de la cave qu'il occupait, à la suite d'un incendie. Le propriétaire avait affirmé que le feu avait pris par sa faute, mais Hannibal avait toujours refusé d'endosser cette responsabilité et s'était retrouvé à la rue. Son calvaire avait pris fin quand il avait déniché un refuge dans le caisson en ciment qui protégeait le pipeline d'eau chaude. Un morceau s'était détaché sur un côté de la maçonnerie, ménageant une brèche suffisamment large pour qu'un homme puisse se glisser à l'intérieur et se blottir contre la canalisation.
Cet endroit avait été le dernier domicile d'Hannibal avant qu'on ne le retrouve noyé dans les tourbières. Il avait vécu là avec quelques chats errants qui s'étaient rassemblés autour de lui comme l'avaient fait autrefois les oiseaux autour de Saint François d'Assise.

Les nuits de Reykjavik, p.26

L’enquête « clandestine » :

 Sur son temps libre, donc en civil et sans prévenir sa hiérarchie qui, on s’en doute, ne l’aurait pas autorisé à enquêter de sa propre initiative, le jeune policier espère que sa discrétion permettra aux langues de se délier plus facilement. Il entreprend la reconstruction de l’itinéraire d’Hannibal.

Du propriétaire qui l’a exclu aux voisins qui disent l’avoir sauvé, de l’asile de nuit à la famille du malheureux, car il en a une mais elle ignore, ou ne veut pas savoir ce qu’il est devenu, il va de rencontre en rencontre reconstituer son passé, découvrir une autre disparue, une femme cette fois-ci au destin parallèle quoique différent. Chaque personne questionnée, écoutée, lui permet de tisser un fil conducteur avec des hauts et des bas, des avancées et des reculs, des convictions et des doutes, des personnages apparemment sans liens réciproques et qui se croisent ou se sont croisés.

Au final, Ernendur n’avoue son enquête clandestine que lorsqu’il a, non seulement trouvé la vérité mais surtout les preuves de la vérité. Cela n’empêcha pas ses supérieurs de lui en faire reproche et il s’en est fallu de peu qu’il ne perde son emploi. Mais, il lui importait avant tout d’avoir fait triompher la vérité et rendu à un homme injustement traité le respect qui lui était dû.

 L’intérêt de ce roman :

Le roman policier a longtemps été considéré comme un genre mineur. Tout juste destiné à désennuyer les voyageurs dans les longs trajets en train, en métro, en avion. On attendait de lui qu’il soit assez intéressant pour ne pas voir le temps passer du départ à l’arrivée, ou pour ne pas être obligé de faire la conversation aux autres voyageurs dans les wagons, principalement lorsqu’on n’avait pas la chance d’occuper une place à côté de la fenêtre. Les halls de gare étaient largement pourvus de ces livres peu épais, faciles à lire et bon marché. Cela n’exclut pas que de bons auteurs s’y soit illustré. Cependant, ceux-ci restaient généralement cantonnés hors de la « littérature », au mieux, s’ils avaient du talent, leurs œuvres trouvaient leur accomplissement au cinéma. Ce fut le cas de Georges Simenon, par exemple.

Une deuxième génération d’auteurs, si je puis m’exprimer ainsi, devait renouveler le genre en refusant de s’en tenir uniquement au déroulement de l’intrigue pour s’intéresser de près aux contextes historique, géographique, psychologique, sociologique, idéologique et autres, avec un authentique souci de réalisme.

Les conséquences furent que le lecteur s’instruisait en même temps qu’il se distrayait, ne réfléchissait pas seulement pour deviner qui était l’assassin ou quelle serait la prochaine victime, devenait de plus en plus savant et exigeant.

Pareillement, les auteurs durent travailler davantage, faire de nombreuses recherches, vérifier leurs affirmations, construire des personnages de plus en plus complexes et réalistes (les inspecteurs ont rarement la sérénité et le conformisme d’un Maigret, par exemple, ils peuvent avoir raté leur vie personnelle comme Wallender chez Henning Mankell, voire être alcoolique). Les auteurs doivent aussi peaufiner leurs mises en scène, leur style, leur écriture.

Arnaldur INDRIDASON fait partie de cette nouvelle vague (plus si nouvelle que cela d’ailleurs, maintenant). Le lecteur peut découvrir l’Islande, des aspects insoupçonnés de sa nature belle et tumultueuse, où le brouillard soudain peut vous faire perdre définitivement l’enfant  qui aurait simplement lâché votre main, peut précipiter une voiture et ses occupants aveuglés dans un fjord. On découvre des aspects de l’histoire de ce petit pays, ses rapports compliqués avec les Etats-Unis dont ils dépendent et méditer sur le malheur de devoir se soumettre à d’autres puissances dissuasives. On s’aperçoit que nous partageons certains disfonctionnements sociaux, comme la pauvreté, la drogue et l’alcoolisme, la violence, l’égoïsme et le non-respect de ceux qui ont perdu leur dignité, l’abandon des laissés pour compte.  L’auteur montre la complexité psychologique des hommes. Hannibal se défend becs et ongles pour rester un homme malgré tout. Erlendur prend le risque de perdre son emploi en refaisant l’enquête de police bâclée pour rendre justice à ce sans-abri.

En conclusion, je vous recommande vivement la lecture de ce roman !

Reykjavik, dans les années soixante-dix, soit à peu près à l'époque du roman. La photographie vient d'une vieille encyclopédie "Alpha".

Reykjavik, dans les années soixante-dix, soit à peu près à l'époque du roman. La photographie vient d'une vieille encyclopédie "Alpha".

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